jeudi 20 septembre 2012

Programme du séminaire 2012-2013


CENTRE  NATIONAL  DE  LA  RECHERCHE  SCIENTIFIQUE
 
UMR 8547 – Pays Germaniques : Histoire, Culture, Philosophie
 
Groupe de Travail des Archives Husserl, 2012-2013
Coordonné par Florence Burgat, Anne Le Goff et Charles Martin-Freville
 
Philosophie et phénoménologie de l'animal :
L’animal agent
 
Le samedi, une fois par mois, de 14h à 16h00 – sauf exception.
20/10, 24/11, 15/12, 19/01, 16/02, 23/03, 20/04, 25/05, 15/06
Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulm (Salle Celan)
 
 
20 octobre 2012
Florence Burgat (INRA, Archives Husserl) et Charles Martin-Fréville (UPJV, Habiter) :
Phénoménologie de l'animal agissant, à partir d'Uexküll et Buytendijk.
 
24 novembre :
Thomas Robert (Université de Genève) :
Darwin et le champ de l'inutile.
  
19 janvier :
Pierre-Olivier Dittmar (EHESS, GAHOM) :
L'invention de l'animal au Moyen Âge, discutant : David Chauvet (Université de Limoges).
 
16 février :
Anne Le Goff (UPJV, CURAPP) :
Le sens du comportement animal. Essai d'application de la phénoménologie schütizienne de la vie quotidienne à la vie animale.
 
23 mars :
Christophe Blanchard (Université Evry-Val-d’Essonne, ETE) :
Le chien des zonards : la revanche d'un corniaud.
 
20 avril :
Bertrand Prévost (Université de Bordeaux 3, MICA) :
Les animaux : territoire, milieux, monde.
 
25 mai :
Roberto Ferrari (Université de Bologne) :
The animal experience of contact. Zoophenomenology of present moment.
 
15 juin :
Dominique Lestel (ENS, Archives Husserl) :
Penser la non-action chez l'autre qu'humain.

jeudi 24 mai 2012

V. DESPRET le 2 juin 2012


La dernière séance, pour cette année académique, du groupe de travail sur les animaux des Archives Husserl se déroulera

le samedi 2 juin, de 14h à 16h00


à l'Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulmsalle Celan.




Nous aurons le plaisir d'accueillir Vinciane Despret, philosophe, pour parler de son dernier ouvrage, Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ?, paru aux éditions de La Découverte.
Vous trouverez ci-dessous un résumé de l'exposé. Le séminaire est ouvert à tous.



Quand l'animal (ad)vient à la perspective


Lors de la préparation du livre « Penser comme un rat », des scientifiques, à qui étaient soumis les résultats de l’enquête qui devait conduire à sa rédaction, ont suggéré de préciser, avant de l’appliquer à l’animal, ce que voulait dire « penser ». Cette suggestion aurait dû avoir pour conséquence soit d’utiliser un autre terme pour le rat, soit de restreindre les significations au terme « penser », afin que les deux référents, la manière dont un rat pense et la manière dont un humain pense, se recouvrent exactement.

Résidait, au coeur de cette réticence, le terme problématique « comme » : il laisse supposer la similitude acquise et les sens fixés. Le terme « comme » induit le malaise, et peut toujours renvoyer à l’idée de subjectivités qui s’échangeraient sur un mode qui « va de soi ». Le terme « avec » aurait constitué, à cet égard,  une solution, d’autant plus intéressante que « penser avec » induit des obligations, éthiques et épistémologiques.

Or, si penser « avec » ne présuppose pas a priori, de penser « comme », le contraire en revanche s’avère difficilement praticable : pour penser « comme », il faut souvent en passer par penser « avec », et le faire d’une manière qui l’autorisera. Ce qui implique alors que la signification du terme « penser » ne préexiste pas à cette mise à  l’épreuve.
Comment cet « avec » se construit-il de telle sorte à activer la possibilité de l’analogie ? C’est à la manière dont ce passage s’effectue dans certaines situations au cours desquelles des personnes s’occupant d’animaux (éleveurs, dresseurs ou scientifiques) tentent, non seulement de comprendre leur point de vue mais de tenir compte du fait que les animaux s’attèlent à la même tâche, que je propose de nous intéresser, en articulant la spécificité de ces expériences à la possibilité des êtres impliqués d’échanger des « perspectives ».  

Il en ressort, à l’analyse, que ces opérations sont créatrices de compétences : la perspective ne précède pas la relation dans laquelle hommes et animaux s’accordent, pensent, font, l’un « avec » l’autre. Au contraire, c’est par, et au travers de cette expérience et dans la relation que humains et animaux deviennent « perspectivistes ».

mardi 8 mai 2012

Compte-rendu de l'exposé d'E. Baratay


Eric Baratay, 5 mai 2012

J’ai choisi dans mon exposé de partir d’abord de mes présupposés, de montrer comment je suis arrivé au sujet, puis dans un second temps d’exposer l’exemple du cheval de mines.

J’ai d’abord travaillé sur l’histoire culturelle des animaux, sur les représentations animales. Mais ce n’était pas satisfaisant car on ne voit que le côté humain de la relation. Par exemple, pour expliquer la relation maître – chien, on tombe vite dans des explications de projection anthropomorphique, déviation, misanthropie, etc. Je veux faire une histoire animale, non pas du point de vue humain mais du point de vue des animaux eux-mêmes.
J’ai fait le choix d’un entre-deux en ne prenant pas comme objet des espèces entières, mais en m’intéressant à des histoires de fortes liaisons entre hommes et animaux. Par conséquent, les animaux étudiés sont surtout des animaux domestiques.
Et cette recherche implique un certain nombre de présupposés de départ :

1)     Cela suppose d’abord d’abandonner l’idée que l’animal est un objet passif, creux, pour passer au concept d’un animal sentant, d’adaptant, etc. Ce concept d’animal n’est pas une simple construction intellectuelle, mais une conviction de départ qui permet de voir beaucoup plus de choses.

2)     Cela suppose aussi de changer la définition de l’histoire dans laquelle les historiens sont ancrés depuis les années 30-40, selon laquelle l’histoire est la  science de l’homme dans le passé. Cette définition avait pour but de permettre à l’histoire de se rapprocher des sciences humaines. Selon la nouvelle définition qui pourrait nous servir, l’histoire serait plutôt celle d’êtres vivants et pas seulement des hommes.
On est alors très proches d’autres historiographies qui peuvent servir de modèle :
- l’histoire des vaincus. Une histoire a ainsi été faite de conquête espagnole de l’Amérique du Sud montrant comment elle avait été vécue par les Indiens.
- l’histoire des anonymes qui existe depuis les années 90. Cf. Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu, 1798-1876. 

3)     Pour parvenir à ressaisir une histoire animale, il faut détourner le regard, regard qui suit nécessairement le point de vue humain. Les sources sont également orientées par le point de vue humain, et il faut de nombreuses reprises avant de pouvoir s’en détacher. Par exemple, les informations sur les chevaux sont présentées de manière telle que c’est l’intérêt humain qui prime. Ou pour l’analyse de la corrida, trois histoires de trois points de vue différents sont possibles : l’histoire du côté humain ; l’histoire du côté des instruments ; l’histoire de l’animal. Le détachement qui permet d’accéder à l’histoire de l’animal est difficile et je pense même que je ne suis pas allé assez loin dans certaines analyses du livre.  

4)     Avec quels documents ?
Le paradoxe est que tous les documents sont nécessairement des documents humains. Il est possible que les animaux laissent certaines traces, mais pas de documents. Un problème de fiabilité se pose : les documents sont partiels et ponctuels, ils ne s’intéressent qu’à quelques aspects ou à quelques animaux. Les témoins n’ont pas tout vu ni tout consigné, ne retenant que ce qu’ils pouvaient et voulaient voir. Ils ont écrit avec toute leur imagination et leurs certitudes. D’où l’intérêt du croisement des documents issus de différents pays, où les approches diffèrent (p. ex. pour le cheval dans la 1e guerre mondiale).
Ce problème est bien réel mais il n’est pas d’une nature très différente que dans d’autres types d’histoire. Ainsi, pour l’histoire des paysans, les documents ne sont pas écrits par les paysans. On trouvera le même genre de problème dans d’autres sciences humaines comme l’ethnologie.
Les problèmes liés aux documents peuvent être contournés si l’on se centre sur une époque donnée, les 19e et20e siècles, parce que c’est l’époque à laquelle on a le plus utilisé les animaux dans l’histoire humaine. On dispose donc de beaucoup de documents, qui sont de deux ordres principaux : les documents techniques et les documents d’acteurs.

5)     Une histoire animale a besoin de s’appuyer sur l’éthologie et aussi la physiologie, etc. Certes, c’est un problème que l’historien ne soit pas un éthologue, mais pas radicalement différent de celui affronté par les historiens des années 50 et 60 qui ont voulu faire de l’histoire économique, démographique, etc.
L’éthologie pose cependant la difficulté d’être faite de diverses écoles très divergentes : quelles approches faut-il choisir ? Mon critère méthodologique a été de choisir celles qui accordaient le plus aux animaux, de manière à permettre d’étudier les documents avec l’œil le plus ouvert possible.

6)     Quant au problème de l’anthropomorphisme, il est en fait moindre que celui de l’anthropocentrisme. En effet, du fait de ce dernier, on utilise des concepts généralement définis en fonction de l’homme, et même du point de vue occidental à une époque donnée. Cela empêche de regarder, d’aller voir. En revanche, on peut utiliser un anthropomorphisme de questionnement, sans le prolonger en anthropomorphisme d’analyse et de conclusion qui vise à projeter. Un anthropomorphisme de questionnement permet de regarder.

Je me suis intéressé à des vécus d’animaux emportés dans l’histoire humaine et par lesquels on peut essayer d’appréhender le point de vue de l’animal. C’est à la fois
- un point de vue géographique : on se met à côté de l’animal pour voir comment il a vécu l’histoire dans laquelle il a été emporté.
- un point vue psychologique : on peut y accéder en fonction des sources à certains moments, dans des interstices.

Il y a relativement peu d’animaux avant le XIXe parce qu’on a un problème pour les nourrir. A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, le nombre d’animaux explose, et leurs emplois également. Leurs emplois sont par exemple la diligence, l’omnibus (lignes régulières établies vers 1820-30), la batellerie. L’élevage, par exemple en Normandie, ne se développe qu’à la fin du XIXe : les vaches sont alors rapprochées des fermes pour la traite. De même les troupeaux rentrent dans ville pour le lait : le lait qui n’était qu’un médicament devient un aliment commun (l’élevage industriel, dans les villes, se développe dès la fin du XIXe).
C’est aussi le début des conflits : en ville, sur le traitement réservé aux animaux (début des sociétés protectrices des animaux) ; à la campagne, sur le partage des terres.
Les animaux sont transformés par leur usage : ainsi le cochon qu’on faisait marcher reste sur place pour engraisser et sa physiologie change beaucoup. On plaque sur les animaux un modèle géométrique auquel la sélection les fait correspondre (ex : création des vaches laitières, chien).

Le cheval est utilisé dans les mines, à partir de 1820. Le cheval de mines est fabriqué petit à petit. Il est massif et court : musclé et puissant, mais assez court pour tourner dans les galeries. On utilise d’abord le cheval breton puis le cheval belge et de trait du nord, et aussi des mulets et poneys. Les étalons utilisés d’abord posent problème car ils se disputent et sont difficiles pour les conducteurs inexpérimentés ; on utilise ensuite des juments qui se battent aussi ; à partir des années 1870-80, on utilise des hongres, c’est-à-dire des mâles castrés. Ils sont castrés à vif, avant l’achat, ce qui entraîne une très forte mortalité.
On a beaucoup de documents sur la description de la vente, le transport à la mine et les premiers apprentissages, mais en général cela ne va pas plus loin. J’ai croisé ces documents avec les travaux vétérinaires et éthologiques contemporains. Cela permet de déduire certaines choses. On comprend ainsi que les chevaux de mine subissent un stress de la rupture avec leur milieu d’origine et leurs congénères familiaux, et un stress lié à l’arrivée dans des écuries très grandes avec des bruits et des odeurs différents. Les travaux contemporains corroborent et permettent d’expliquer les témoignages d’époque : on trie entre les chevaux qui arrivent ou non à s’adapter, à la vie dans la mine ou au travail particulier de traction des wagons entre des rails. L’adaptation est physiologique et psychologique.

Après le triage, il y a la descente, phénomène largement décrit à l’époque. Au début, les chevaux sont emballés, soulevés et descendus par des grues. Leur terreur est celle de l’herbivore proie pris au piège (Cf. dessin où le cheval a l’œil terrorisé). Des  masques sont utilisés pour réduire la peur. Cas de crise cardiaque. Le stress à l’arrivée est tel que les animaux ont souvent besoin d’être laissés à plat avant de se relever. A partir des années 40-50,  des ascenseurs sont installés.
En bas, il fait nuit, il y a beaucoup de courants d’air, de bruit, de poussière, il fait très humide. D’après l’éthologie et les contemporains, les animaux ne sont pas trop gênés par la nuit, il y a peu d’accidents de déplacement. En revanche, il y a un problème lorsqu’ils relèvent la tête pour voir de loin : ils heurtent le plafond (utilisation de barrettes protectrices pour pallier le problème). En outre, l’accommodation aux bruits et aux odeurs apparaît beaucoup plus lente. En effet, les équidés y sont très sensibles. On aperçoit pour tout cela de fortes différences selon les individus. Certains ne veulent pas s’adapter et doivent être remontés.

Le travail du cheval est amplement documenté par les ingénieurs et les directeurs de mines. Un cheval passe 6 à 8 heures à tirer des wagons pleins et vides. Il y a des relais de 300 à 500m. Les wagons représentent 8 à 12 bennes = 6 à 8 tonnes. C’est un travail très difficile car surtout de démarrage et non de traction.
Les descriptions de l’époque ajoutées aux travaux vétérinaires contemporains sur le cheval de trait permettent de décrire les difficultés rencontrées par les chevaux : fatigue très forte, risque de déshydratation, refroidissements (du fait de l’aération par courants d’air de la mine), raidissement musculaire.
Attelage s’est d’abord fait d’abord par bricole (large lanière cuir sur le poitrail, qu’il est difficile de ne pas placer ni trop haute ni trop basse), puis par collier d’épaule (problème de gaspillage de la force).
Les conditions de travail sont très variables, même à l’intérieur d’une même mine, selon l’entretien des galeries. Les galeries ressemblent souvent plus à des montagnes russes qu’elles ne sont planes. Il y a aussi des différences entre compagnies. Ainsi, dans les mines de la Loire, la cherté de l’exploitation est compensée par le travail des chevaux  (on dit qu’il font 60 journées par mois). Grosse différence également selon les hommes qui travaillent avec les chevaux.
Jusqu’aux années 1830-50, les rails sont en bois, puis ils sont en fer, ce qui facilite grandement le travail des chevaux. Mais à partir des années 70-80, les charges de travail sont augmentées en compensation. La charge est également fortement augmentée après 1918, quand les mineurs obtiennent la journée de 8h, et pour compenser celle-ci.

Sur l’adaptation des animaux, il existe beaucoup anecdotes, qui ont longtemps été rejetées comme des inventions humaines. Pourtant, les vétérinaires miniers parlent de l’intelligence du cheval et rejoignent tout à fait les analyses vétérinaires d’aujourd’hui. Sur un parcours qu’ils connaissent, certains chevaux savent ralentir quand c’est nécessaire, ouvrir les portes. Ils refusent le travail après leur heure de travail habituelle. Beaucoup savent d’eux-mêmes rentrer à l’écurie, se placer devant le wagon, etc. Quand ils arrivent aux ascenseurs, certains chevaux avancent seuls lorsque le nombre de coups de cloche correspondant au numéro de leur galerie est donné.
Certains chevaux refusent les suppléments de bennes. Les mineurs négocient avec les chevaux (récompenses ou amènent sans bruit les wagons supplémentaires).
Les chevaux présentent parfois de la résistance. Les vétérinaires de l’époque disent que c’est à peu tout le temps dû à de la maltraitance.
En 36, les chevaux ont été remontés pendant les congés payés. Certains ont refusé de redescendre voire se sont enfuis.
            Des communautés hommes-chevaux existent (p. ex. le conducteur partage le « briquet » (goûter) avec son cheval…). Les compagnies cherchent les bons conducteurs, alors que la plupart sont inexpérimentés.
Ainsi, pour le travail dans les mines, le modèle de l’animal-machine était plaqué, le cheval étant considéré comme une machine, mais ne pouvait pas être utilisé (si le cheval ne veut pas…). On aimerait qu’ils soient des machines.

Les premières écuries sont des écuries de fortune le long des galeries, où les chevaux se reposent très peu. Puis des écuries à part sont construites. Problème pour acheminer la litière : d’abord de la paille, puis du foin, de la tourbe.
Il y a du surmenage, des blessures mais, comme pour les hommes, assez peu de maladies et pas les mêmes qu’à l’extérieur (surtout des problèmes dus à l’humidité du sol, des bronchites et des coliques (parce que les chevaux doivent manger lentement, or le de temps repos et le temps de travail sont nettement partagés dans les mines)).
La mortalité est faible (2-3%), en comparaison p. ex. des omnibus (5-7%, avec de fréquents arrêts cardiaques). Les chevaux travaillent en moyenne 10 ans (les poneys davantage). Jusqu’à fin XIXe, ils sont ensuite vendus aux paysans. Après, ils sont vendus à l’équarrissage ou à la boucherie, même lorsqu’ils sont encore en bon état (le prix de la viande de cheval est très intéressant).




Questions

Q. Quels sont les enjeux de cette histoire ?
E.B. Le parallèle avec l’histoire des vaincus est avant tout méthodologique du point de vue de l’historiographie. Il ne s’agit pas de dire que les animaux sont des vaincus.
L’enjeu de cette histoire est de venir à bout du trou noir que constitue l’animal en histoire. Il faut montrer que ce n’est pas un trou noir mais être vivant qui a des capacités.
En outre, si l’on connaît mieux l’animal, on comprend mieux ce qui se passe entre l’homme et l’animal.


Q. (Inaudible)

E.B. Evolution du comportement des animaux. C’est très peu développé par les éthologues alors qu’on a beaucoup de documents. Ex : loups ; pit-bulls (entre 1880 et 1840, aux Etats-Unis, le pit-bull était considéré comme l’animal par excellence pour les enfants : méchant vis à vis des animaux mais gentil avec ses maîtres, d’où : animal de compagnie).

Q. compagnonnage homme-cheval ?

E.B. On a des témoignages de compagnonnage à partir du XXe. Mais ils sont déformés par une idéalisation rétrospective, on retient surtout les bons côtés.
Il y a pourtant de nombreux cas de maltraitance : les conducteurs non expérimentés vont avoir tendance à employer la violence.
Les chevaux sont parfois associés aux luttes dans le travail (cf. tracts St-Etienne 1920). On a quelques photos où l’on voit des affiches de la S.P.A. placardées dans les galeries.

Q. L’entrée de la notion de vécu constitue une vraie rupture dans le discours scientifique sur les animaux. Or, je suis frappée, dans votre travail, par le rôle accordé à la physiologie, zoologie etc. dans la confirmation des sources. En effet, ce sont bien certaines sciences contemporaines qui ont largement contribué à empêcher l’émergence de la notion de vécu animal.

E.B. Je m’attache plus à un croisement des disciplines, qu’à prendre une discipline (zoologique, éthologique…) comme référence unique. En effet, l’histoire et ces disciplines peuvent s’éclairer les unes les autres, l’apport pouvant également venir de l’histoire. Certes, il y a une limite à l’utilisation de l’éthologie par l’histoire, c’est le changement des espèces avec le temps : ainsi, l’éthologie canine sera différente selon l’époque.

Q. Objection : N’aurait-il pas mieux valu intégrer les biographies animales (vous en avez écrit une sur la première girafe à venir en France, sur le taureau de corrida Islero) à cette réflexion, de façon à atteindre l’individualité des animaux ?

E.B. Oui, je suis d’accord. La difficulté est que l’on ne peut faire de biographie que pour certains animaux exceptionnels (la girafe, le singe Consul…) pour lesquels on a des documents, et encore, ces documents ne portent que sur certains segments de leurs vies. Quant aux biographies existantes, elles sont en fait écrites du point vue humain.

Q. Il est problématique de présenter l’éthologie de manière homogène alors qu’elle a connu plusieurs écoles et méthodes. Il faudrait préciser l’approche que vous suivez.
L’éthologie a commencé par le plus facile à observer, les comportements. Elle change maintenant : beaucoup de recherches en cours portent sur les individus et les raisons pour lesquelles ils sont tous différents.
L’une des voies qui paraît la plus fructueuse serait celle des neurosciences, qui s’intéressent aux circuits de récompense, les mêmes chez les humains et chez les animaux.

E.B. On a besoin d’osciller en fonction des analyses disponibles.



jeudi 26 avril 2012

E. BARATAY le 5 mai 2012


La prochaine séance du groupe de travail sur les animaux des Archives Husserl se déroulera

le samedi 5 mai, de 14h à 16h00


à l'Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulmsalle Celan.





Nous aurons le plaisir d'accueillir Eric Baratay, historien, pour parler de son dernier ouvrage, paru au Seuil :

Le Point de vue animal. Une autre version de l'histoire

     L’histoire, celle bâtie par les sociétés humaines, est toujours racontée comme une aventure qui ne concerne que l’homme. Pourtant, les animaux ont participé et participent encore abon- damment à de grands événements ou à de lents phénomènes de civilisation, qu’ils soient chevaux et chiens de guerre, équidés voués à servir dans les transports, bétail attaché à la production, animaux de compagnie, faire-valoir dans les loisirs, du cheval de course au taureau de corrida, etc.
     Leurs manières de vivre, de sentir, de réagir à cette histoire sont quelquefois effleurées, jamais étudiées comme telles. Même la récente histoire des animaux, que les historiens édifient depuis plus de vingt ans, se focalise sur les représentations, les dires, les gestes des hommes sur les bêtes, leurs répercus- sions sociales, mais guère sur les vécus animaux: elle édifie ainsi une histoire humaine des animaux, non une histoire animale. Comme s’il n’y avait d’histoire intéressante que celle de l’homme, c’est-à-dire de soi. Comme s’il existait en nous une difficulté à s’intéresser au vécu d’êtres vivants qu’on met à contribution, mais qu’on traite en objets ou en scories de l’histoire sans plus s’en soucier.
     Or le versant animal de l’histoire est lui aussi épique, contrasté, tourmenté, souvent violent, parfois apaisé, quelquefois comique. Il est fait de chair et de sang, de sensations et d’émotions, de peur, de douleur et de plaisir, de violences subies et de connivences. Il rejaillit directement sur les hommes, au point de structurer de plus en plus l’histoire humaine. Ainsi, loin de s’avérer anecdotique et secondaire; il mérite amplement l’attention des historiens soucieux d’une histoire multiple.
     Il faut donc arracher l’histoire à une vision anthropocentrée, regarder ces comparses de l’homme, ces autres vivants que sont les bêtes, passer de leur côté, regarder de leur point de vue en retournant les interrogations, en cherchant des docu- ments plus prolixes ou en lisant les autres autrement, en décen- trant le récit. On pourra alors montrer comment les bêtes ont vécu et ressenti les phénomènes historiques dans lesquels elles ont été entraînées, comment elles ont réagi et même forcé les hommes à changer d’attitude. Évoquer cet autre versant de l’histoire sert à réévaluer un véritable acteur, souvent majeur, trop longtemps occulté, à comprendre du coup nombre d’attitudes humaines (protestations, conflits, adaptations...) qu’on ne perçoit ou qu’on n’analyse pas correctement sans cela, à répondre enfin à une demande croissante du public qui, des journalistes aux auditeurs en passant par les lecteurs ou les assistants aux conférences, soulève maintenant sans cesse la question de l’expérience vécue des bêtes. Et il revient aux historiens de leur répondre.



jeudi 22 mars 2012

V. GLANSDORFF et Ch. STEPANOFF le 31 mars 2012

La prochaine séance du groupe de travail sur les animaux des Archives Husserl se déroulera

le samedi 31 mars, de 14h à 16h30


à l'Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulmsalle Pasteur.





Nous aurons le plaisir d'accueillir Charles Stepanoff, anthropologue, et Valérie Glansdorffphilosophe, pour un exposé sur :



Une communauté mobile hommes-rennes, les Tozhu : mise en perspective d’une expérience de la relation

En Sibérie méridionale, le passage de l’élevage naturel des rennes à un modèle d’élevage culturel et industrialisé a provoqué des bouleversements significatifs dans l’équilibre précaire entre les animaux, les hommes et leur environnement. La réponse la plus efficace aux divers dangers (loups, épidémies…) menaçant constamment les rennes a consisté à faire reposer la gestion des troupeaux non seulement sur la connaissance du comportement des bêtes, mais aussi sur la sollicitation de leur intelligence et de leur mémoire, leur accordant une grande autonomie.
Ainsi peut-on parler de véritable cognition partagée entre les animaux et leurs éleveurs. Il s’agira alors de se demander ce qui justifie une telle distribution des compétences. N’est-il pas illusoire de voir une responsabilité partagée dans un modèle de rapport qui n’est peut-être qu’une exploitation unilatérale des instincts du renne par l’homme ?

L’enjeu ne sera pas de déterminer quel peut bien être le degré de conscience d’un renne, ni s’il est possible et souhaitable de penser comme lui pour le comprendre mieux. L’on préférera s’interroger sur ce qui a mis en demeure les éleveurs Tozhu de collaborer avec leurs animaux et comment ils ont répondu aux circonstances problématiques de manière à les « faire exister » comme agents autonomes et non comme objets d’une rationalisation accrue. En effet, si le point de vue actif des animaux se dessinait déjà virtuellement avant le retour à l’élevage primitif, il demandait néanmoins à être instauré.

C’est autour de ce concept d’instauration tel que l’a élaboré le philosophe Etienne Souriau que se prolongera la discussion. Dans ce que Souriau appelle une situation questionnante, il s’agit d’instaurer un point de vue – ou un mode d’existence – qui ne témoigne du problème et ne se constitue pour ce qu’il est que dans la relation qu’il soutient avec le reste. L’on s’interrogera alors sur la possibilité d’un point de vue animal qui ne soit pas seulement déterminé par une série de fonctions faisant sens, comme on peut le trouver chez Uexküll, mais qui soit également ce qui crée une consistance commune entre différents êtres au sein d’une relation architectonique.

mercredi 8 février 2012

J. FARGES le 25 février 2012



E. Husserl
(Toute ressemblance pileuse avec un tamarin empereur serait fortuite.)




La prochaine séance du groupe de travail sur les animaux des Archives Husserl se déroulera


le samedi 25 février, de 14h à 16h00


à l'Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulmsalle Celan.




Nous aurons le plaisir d'accueillir Julien Fargesphilosophe, pour un exposé sur :




Le monde de la vie est-il un monde anthropologique ?
Remarques sur le statut de l'animalité dans la phénoménologie husserlienne tardive



La séance proposera une contribution à l'idée d'une phénoménologie de l'animalité en s'appuyant sur les textes que Husserl consacre à une description phénoménologique de l'animal. Au-delà de l'intérêt documentaire que présente en lui-même un parcours de ces textes pour la plupart peu connus (car dispersés dans la masse des manuscrits  et occupant une place somme toute marginale dans la production husserlienne), il s'agira d'en interroger les ressources et les limites dans la perspective d'une réflexion sur l'idée d'un point de vue animal.
Contrairement à la façon dont les textes husserliens relatifs à l'animalité sont souvent abordés dans la littérature secondaire, l'exposé ne prendra pas pour fil conducteur les concepts de conscience et de subjectivité mais plutôt le concept de monde tel qu'il envahit la phénoménologie "tardive" de Husserl, à savoir le "monde de la vie" (Lebenswelt).
Il a souvent été soutenu que la phénoménologie husserlienne du monde de la vie aboutissait à déterminer ce dernier comme un "monde anthropologique" ou encore qu'elle fournissait les éléments pour un renouvellement de la problématique de l'anthropologie philosophique. Sans aucunement nier cet aspect, nous souhaiterions le nuancer ou le compléter en montrant le rôle déterminant joué par l'animalité dans la constitution de ce monde, y compris justement dans sa dimension anthropologique.


Il ne s'agira donc pas de poser de nouveau la question de savoir si les animaux sont pourvus ou non d'un monde, mais l'exposé s'attachera plutôt à montrer dans quelle mesure quelque chose comme une constitution réciproque de l'humanité et de l'animalité se fait jour dans les textes husserliens relatifs aux structures du monde de la vie, alors même que Husserl ne semble jamais renoncer par ailleurs à une conception rationaliste de la différence anthropologique.
À cette occcasion, il sera possible de mettre en évidence que la phénoménologie tardive de Husserl fait une place conséquente et surprenante à certains concepts issus de l'évolutionnisme, ce qui permettra d'éclairer d'un jour nouveau non seulement la nature de l'idéalisme constitutif husserlien mais surtout la place qu'occupe la phénoménologie husserlienne dans l'histoire du concept de Lebenswelt, en la situant à mi-chemin du naturalisme darwinien de Haeckel et de la biologie subjective des milieux de von Uexküll.

mercredi 11 janvier 2012

D. BOVET et C. LARRERE le 21 janvier

La prochaine séance du groupe de travail sur les animaux des Archives Husserl se déroulera
le samedi 21 janvier, de 14h à 16h30
à l'Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulm, salle Celan.

Nous aurons le plaisir d'accueillir, pour un exposé conjoint :
Dalila Bovet,
éthologue (Université Paris X), et Catherine Larrère, philosophe (Université Paris I) .


Association d Eleveurs amateurs de perroquet Gris du Gabon,perroquet eleveur gris du gabon
Le point de vue des perroquets : leur prêtons-nous une psychologie minimale ?

Le chercheur en éthologie cognitive est forcément confronté au point de vue de l’animal : non seulement c’est fréquemment le sujet de ses recherches, mais de plus les animaux testés imposent leur point de vue. En effet, ils peuvent refuser de répondre si les questions posées ou les récompenses proposées ne les motivent pas suffisamment, ou encore, sans forcément que le chercheur s’en aperçoive, répondre à une question autre que celle qui est censée leur être posée. Mais c’est peut-être au moment où ils nous exaspèrent le plus que nos animaux ont le plus à nous apprendre… l’éthologue peut ainsi découvrir que les interactions qui se passent autour des expériences sont parfois aussi intéressantes, voire plus, que les expériences elles-mêmes.

C’est justement cette façon de prendre en compte le point de vue de l’animal et d’apprendre plus de ce qui se passe autour de l’expérience que dans l’expérience elle-même, qui amène à s’interroger, en philosophe, sur les présupposés non questionnés aussi bien de l’expérience que de ce qui se passe autour de l’expérience ou entre les expériences. Le chercheur ne prête-t-il pas aux animaux une psychologie minimale qui n’est pas questionnée parce qu’elle est une condition de possibilité des expériences ? C’est, notamment la question de la motivation ou de l’incitation prêtée aux animaux qui paraît comparable à celle qui conduit à la construction de l’homo oeconomicus ou de l’idiot rationnel. C’est la pertinence de cette psychologie, commune à l’homme et à l’animal, dès qu’on les rend objets d’expérience, que l’on voudrait interroger.


Le séminaire est ouvert à tous. Nous espérons vous y retrouver nombreux.